« Père et fils »
Jean-Claude Snyders
1993
« Avant ta naissance, je croyais qu’un enfant n’était que source d’ennuis, qu’il vous dérangeait le jour, vous réveillait la nuit, vous empêchait, en toutes circonstances, de faire ce que l’on souhaitait.
Il me semblait aussi qu’un tout petit n’avait besoin que de sa mère, et qu’un père, auprès de lui, n’avait que peu de place dans les premiers temps.
Et puis tu es venu.
Tu t’es d’abord élancé vers le sourire maternel, ce lieu où il est si doux de se blottir, et que tu recherchais comme d’autres font les Indes.
Mais un jour tu m’as regardé.
Tu m’as regardé, et le monde s’est mis à trembler jusque dans ses fondements. Tu m’as regardé: à ton exemple, je me suis senti naître.
Ton babil m’était mystérieux. Tes mots n’étaient pas encore des mots, mais ressemblaient à des fleurs en bouton, attendant d’éclore. Cela importait peu: ne pouvant accueillir ces sons dans mon esprit, je les recevais dans mon âme. Je ne comprenais rien à tes paroles: elles donnaient un sens à ma vie. »
Jean-Claude Snyders, « Père et fils », extrait (Buchet-Chastel, 1993, préface du Professeur Serge Lebovici)
C’est un père qui a deux fils et qui ne joue pas à être un « nouveau père ». Il raconte patiemment les découvertes de la paternité. Il montre comment le paternage lui confère la dignité paternelle. Jean-Claude Snyders retrouve tout naturellement la théorie de la transmission intergénérationnelle, qui paraît si importante pour déterminer le mandat assigné à l’enfant qui vient au monde.
C’est un mandat qui consiste à faire de son père un père, et à donner un nouveau sens au couple, comme à ceux qui sont devenus des grands-parents.
Ce père se demande, d’ailleurs, pourquoi ses bébés tant aimés montrent tout de même des manifestations d’angoisse. Sont-elles, se demande-t-il, l’apanage de ceux qui sont aimés et qui aiment: les enfants qui offriraient par là un paradigme à l’amour de l’homme inquiet de perdre l’amour de sa femme.
Ce livre où père et fils sont, les uns pour les autres, les meilleurs des pédagogues, est un document de grande valeur non seulement par ses qualités littéraires, mais aussi par les leçons qu’on peut en tirer quand on s’occupe, comme beaucoup de chercheurs contemporains, de la naissance et du développement des fonctions paternelles…
Serge Lebovici