« Il a cinq ans maintenant.

Souvent il me dit qu’il a envie de me tuer. Puisque ces paroles sont importantes pour lui, je ne peux les ignorer, ni les prendre à la légère, même si, comme c’est le cas presque toujours, il les dit sur un ton fort gentil, me demandant: « Papa, est-ce que je peux te tuer? » En guise de réponse, je me contente de soupirer, mais de manière à le faire rire, pour lui faire comprendre que si je prends cette question au sérieux, je ne la juge pas fâcheuse. 

S’il voit que ses sentiments hostiles, sans m’être indifférents, ne me troublent pas, s’il comprend que je juge ces sentiments importants, mais qu’ils ne peuvent me faire de mal, peut-être réussira-t-il plus aisément à accepter cette agressivité qu’il ressent contre moi, et dès lors à s’accepter lui-même tout entier. L’acceptation, par lui comme par son frère, de tout leur être, me paraît si précieuse, que je crois parfois n’avoir pas d’autre but dans ma vie… »

Jean-Claude Snyders, « Peines d’enfance », extrait (Buchet-Chastel, 1995)